INTERVIEW

 

Gélatine a été réalisée en Post-Diplôme ARI de l’ENSAD, exposée en 2012 lors de l’exposition collective "Nature(s)" conçue par Djeff à la Fondation Vasarely.

En 2009 au festival "Play" PISAF à Séoul.

En 2006 à « Château de cartes » Galerie Garcia Laporte, Paris, en 2007.

En 2005 lors du festival « Expanding the space » Octubre Centre de Cultura Contemporania, Valence, Espagne.

Entretien Céline Bodin et Pauline Thomas

CB : A propos de la genèse de l’œuvre, qu’est ce qui t’as poussé à prendre pour thème le tsunami de 2004, plus violent séisme survenu dans le monde après celui du Chili en 1960, provoquant des raz de marées dévastateurs dans une partie de l’Océan Indien ?

PT: « Tsunami gelatine » est une pièce que j’ai crée en 2005, j’ai donc effectivement choisi un sujet d’actualité récente : le Tsunami de 2004, survenu au large de l’Ile indonésienne de Sumatra. Cet événement m’a poussé à aborder dans ce travail la thématique de l’eau, l’eau changeante, seule parmi les quatre éléments à se mettre au pluriel. Bachelard, dans son essai L’eau et les rêves (1942), rend compte des symboles contradictoires associés à l’élément aquatique : l’eau bienfaisante, source de vie, a pour antithèse l’eau mortelle des déluges et noyades. Cette lecture m’a beaucoup influencée.

Parler d’un sujet d’actualité me donnait aussi prétexte à opérer une transposition de l’événement dans le futur. Quelle sera notre relation à l’eau, élément qui conditionne notre existence et celle de tous les êtres vivants, dans le futur, quand cette ressource sera quasiment épuisée parce que nous n’aurons pas su la respecter ?

CB : Nous l’avons dit, l’élément aquatique est au centre de ton installation, mis en scène dans le contexte d’une catastrophe naturelle. Est-ce une façon de réfléchir à la représentation d’éléments naturels qui échappent à l’emprise de l’homme ?

PT : L’eau symbolise le mouvement et la vie mais elle constitue aussi toujours un danger pour l’homme, particulièrement désarmé face aux grands phénomènes hydrologiques. C’est ce paradoxe que j’ai voulu mettre en évidence, tout en opérant un basculement de perspective. En poussant à son paroxysme la pensée occidentale construite sur le concept de maîtrise et de contrôle, j’ai voulu dans cette œuvre proposer une projection : l’eau représentée ici est inquiétante, elle essaie de se défendre, mais elle n’est plus dangereuse car l’homme a fini par l’asservir même si le contrôle qu’il prétend exercer sur elle reste imprécis. La vague est ici personnifiée, elle questionne l’être humain : comment a t-il pu détruire petit à petit et mettre en danger son propre élément vital ?

CB : Défi du XXIème siècle, l’eau fait débat, la gestion de cette ressource étant devenue vitale. Est-ce une idée que tu as voulu soulever dans cette œuvre ?

PT : L’eau joue, dans le développement de la vie humaine, animale ou végétale et dans l’évolution des sociétés, un rôle irremplaçable. Or nous puisons de manière inconsidérée et irrespectueuse dans nos ressources, considérant que c’est un capital inépuisable.

Je souhaitais montrer dans cette œuvre que nous mettons en danger notre élément vital, constituant principal de notre organisme et de notre nourriture. L’image des vagues, de la mer agitée, projetée dans la vidéo et photographiée, n’est pas une image naturelle, elle est traitée afin d’avoir un rendu monochrome. Le cadrage et l’accentuation de la nervure de la matière accentue le mouvement de force de l’eau, tandis que le traitement colorimétrique donne une impression d’oxydation, comme si l’environnement représenté présentait un état de dégénérescence avancé.

L’eau est emprisonnée dans une cage de verre, l’écran, tel un objet collectionné, muséifié. Or c’est une aberration de vouloir conserver ce que l’on a voulu détruire.

CB : Le titre de l’installation « Tsunami gelatine » évoque deux notions : celle de tsunami, (du japonais 津 tsu, port, et 波 nami, vague, donc littéralement « vague portuaire »), onde provoquée par un rapide mouvement d'un grand volume d'eau (océan ou mer), en général dû à un séisme, une éruption volcanique explosive ou un glissement de terrain de grande ampleur et celle de gélatine, substance solide translucide, extraite d’os d’animaux, qui lorsqu’on la remue a un mouvement flou et instable. Pourquoi avoir choisi de rapprocher ces deux termes ?

PT : Ce que j’ai voulu suggérer, à travers ce titre, c’est l’idée d’une force contrainte. C’est une force violente, puissante mais elle est contenue dans un récipient, la cage de verre de l’écran. Son mouvement devient flou, ce qui provoque chez le spectateur une incompréhension perceptive qui le déroute. Finalement cette force de la nature n’est plus qu’une illusion, tant elle a été asservie par l’homme…

CB : L’utilisation de la vidéo permet de traduire la sensation de mouvement, créant un sentiment de présence. Le spectateur est ainsi mis en contact avec une nature catastrophique qui l’effraie mais aussi le fascine. Est-ce ce côté voyeur, constitutif de la nature humaine, que tu as voulu mettre en évidence ?

PT : Non, ce que j’ai d’abord voulu représenter ce sont les forces en présence. Plus que de voyeurisme, je préfèrerais parler de fascination. La mer est porteuse de fantasmes, toute beauté cache un danger. C’est ce qui sous-tend le roman d’Herman Melville Moby Dick : dans la confrontation avec l’océan, l’homme ne cesse d’interroger son rapport à l’infini et à la mort.

CB : Le spectateur s’approche de l’œuvre et interagit avec elle, quelle forme prend cette interaction ? Quel est le sentiment qui s’en dégage ?

PT : La relation se fait par le toucher, le spectateur caresse l’interface comme un animal. Un écran le met à distance, car la vague est en captivité emprisonnée dans un bocal. L’écran montre également qu’il ne s’agit pas de vraie eau mais bien d’une image car l’eau n’est plus, nous avons épuisé les ressources. La vague représentée est personnifiée, on peut ici penser à la vague d’Hokusaï. L’homme essaie de récréer le contact avec son image par la caresse pour rétablir un lien tout en douceur. Mais la relation a été trahie, l’eau reste à l’état sauvage se comportant tel un lion en cage.

Les photographies exposées, à l’aspect légèrement suranné, sont là également pour témoigner de ce qui fut et n’est plus par la faute de l’homme.

CB : Peux-tu nous parler de ton expérience en tant qu’artiste face à la nature ? Du regard que tu portes sur ce que tu es en train de filmer ? Comment s’est déroulée la captation vidéo ?

PT : Pour ce projet, j’ai d’abord effectué une recherche préliminaire sur l’état de la mer, la cambrure des vagues que je voulais filmer. J’ai choisi de partir à la Réunion, où j’ai parcouru la route des Tamarins pour me rendre sur la côte près de la commune de l’Etang Salé. C’est à cet endroit que j’ai découvert l’image d’une mer agitée telle que je voulais la capturer. Je me suis sentie hyper connectée en observant la nature à travers l’œil de la caméra. Le cadrage serré sur le sujet, les vagues, l’isolant de son contexte, une plage de l’Ile de la Réunion, m’a permis de faire abstraction de tout ce qui m’entourait et de rentrer pleinement, de m’immerger dans l’élément aquatique.

J’aimerais citer ici une source d’inspiration qui m’a accompagné à la manière d’un paysage sonore : La Mer, composition pour orchestre de Debussy, dont la première édition présentait d’ailleurs une reproduction de l’œuvre célèbre, citée précédemment, du peintre japonais Hokusaï, Le Creux de la vague au large de Kanagawa.

CB : Est-ce la première fois que tu abordais la représentation de la nature dans ton travail artistique ?

PT : Non, la nature est un sujet que je traite régulièrement dans mes projets, c’est également le compagnon de mes réflexions et pensées. Je suis originaire de l’Oise et j’ai grandi à proximité du parc Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville où j’ai souvent été me ressourcer. Un de mes tous premiers projets photographiques s’intitule d’ailleurs Rêveries. Le mode d’observation de la nature y est contemplatif et réflexif.

Mon travail sur l’identité passe par l’espace, l’environnement qui nous entoure. La quête de soi-même se prolonge dans celle de l’espace, dans lequel on ne peut pas tout englober, on finit donc pas opérer à un retour sur soi. Ma vision de la nature est romantique : le spectacle de la nature ramène d’abord à l’homme lui-même, par un effet de miroir.